MÉMOIRES DE BARNUM
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Extraits de la préface de Fabrice Pliskin :
« Phineas Taylor Barnum, le géant du cirque, l'exhibitionniste génial, le montreur de sirènes et de frères siamois, le showman numéro un des États-Unis, l'Homo americanus par excellence, (...) plus pop que Warhol, (...), plus fin connaisseur de la société du spectacle que Guy Debord.

Affirmons-le avec force, mesdames-messieurs, au risque de faire rougir nos distingués anthropologues. Barnum est sans doute pour nous autres, modernes, ce que fut Aristote pour le Moyen Âge. Barnum, péripatéticien de la publicité. On pourrait presque dire qu'il a inventé la célébrité. Nous vivons dans son monde et dans sa métaphysique, dans ses rêves et dans ses cauchemars, dans sa poésie et dans sa barbarie. Ce dompteur a un fouet : la communication.

  Il a mis l'excentricité au centre du monde. Pour s'insinuer dans les consciences, il est prêt à tout : à la fantaisie la plus burlesque comme à la plus atroce abjection. En 1841, à New York, il rachète le Musée américain dont il va faire sa tératologique vitrine, son Hollywood, son Disneyland, sa Factory.

  Le premier coup de génie publicitaire de Barnum s'appelle Joice Heth. En 1835, le mystificateur achète pour 1000 dollars cette vieille dame noire à un planteur du Kentucky. Comme les comprachicos défiguraient les petits enfants, il lui arrache les dents pour les besoins d'une nouvelle imposture. Vous ne le saviez pas, mesdames-messieurs, mais Joice Heth a plus de 100 ans et elle est, en réalité, la nourrice de George Washington, le père de la nation américaine.

Barnum part en tournée Joice Heth. Elle a 110 ans à Louisville, 121 ans à Cincinnati, et finalement 161 ans à son arrivée à Philadelphie. La vieille dame devient une superstar.

On connaît le général Tom Pouce, de son vrai nom Charles S. Stratton. Ce people lilliputien de 67 centimètres ravit tour à tour la reine Victoria et Louis-Philippe.

  Voici une authentique sirène des îles Fidji : en vérité, une misérable créature pareille à une mouche écrasée, faite d'une queue de poisson cousue au buste d'un bébé orang-outan. Bon appétit. Il y a aussi Joséphine Boisdechêne, alias Madame Clofullia, femme à barbe suisse au nom de hardeuse, dans sa jolie robe victorienne.

  Ethnologue aux tropiques pervers, Barnum aime à exposer aux yeux du public blanc de son Musée américain ce qu'il appelle des « curiosités vivantes » : enfant aztèque, cannibales australiens, géant chinois, roi des îles Sandwich.

  Éléphantesque, c'est le mot qui vient à l'esprit pour définir Barnum. Au reste, il racheta pour 10 000 dollars Jumbo l'éléphant, au zoo de Londres. Arrivé au cirque en 1882, le pachyderme mourut trois ans plus tard et fut empaillé. Auparavant, son maître avait embauché Toung Taloung, un éléphant blanc sacré du Siam. Mais comme il ne le trouvait pas assez blanc, il le peignit avec de la céruse. L'animal en creva. »